1# – La réflexion

Premier sous-chapitre consacré à la réflexion, ou plutôt aux réflexions qui ont occupé mon esprit depuis que je porte ce projet –ou bien que lui me porte, la réciproque étant tout aussi juste.

Réflexion #3 – Prendre du recul

6 décembre 2022

Un an et demi après ma décision d’entamer une reconversion professionnelle, je profite de cette période des fêtes de fin d’année, souvent propice à l’introspection, pour partager quelques bribes de mon cheminement.

« Avancer dans la vie », « monter les échelons », « aller de l’avant »… Le champ lexical de la réussite associe bien souvent cette dernière à l’idée d’une trajectoire, ascendante, rectiligne, où ralentissements et détours sont déconseillés, sous peine de constituer ces fameux « trous dans le C.V. » qu’il faudrait à tout prix cacher, comme un trou à raccommoder dans un vieux vêtement, ou une fuite à colmater dans les canalisations. La « vie active » –drôle d’expression assez pléonastique à y regarder de plus près– ne tolère point d’interruption, et si un grain de sable venait à enrayer la locomotive du train-train quotidien, il n’y aurait qu’à « traverser la rue » pour remonter en selle et éloigner ainsi l’opprobre de l’inactivité.

A l’opposé de cette injonction au progrès et à l’avancement, il y a cette expression qu’on emploie souvent mais, au fond, jamais littéralement : « prendre du recul ».

« Prendre du recul »

Reculer, dans un monde qui nous pousse à avancer, en voilà une drôle d’idée. Garder les pieds sur terre (ou Terre), quand les plus fortunés de notre siècle ont déjà les yeux sur Mars. Garder la tête froide dans un monde qui se réchauffe, hélas pas que métaphoriquement.

On en parle beaucoup en ce moment mais cela fait déjà plusieurs années que l’inflation sévit partout : nombre de chevaux sous le capot de nos SUVs, nombre d’heures passées devant nos écrans, nombre de chiffres dans les levées de fonds de nos start-ups, nombre d’années de SMIC dans les salaires des dirigeant·e·s du CAC40 (l’écriture inclusive était presque optionnelle puisqu’on ne compte parmi eux que deux femmes…).

Face à cette inflation, j’ai pris la tangente. Une « prise de recul ». Un « trou dans le C.V. ».

Dans mon dernier article, j’annonçais que je quittais mon CDI pour entamer une reconversion vers l’agriculture. C’était en juin 2021. Ce faisant, je mettais le pied sur un territoire qui m’était jusqu’alors inconnu : le chômage. Tout en étant consciente des privilèges immenses que m’octroient, d’une part, de longues études sanctionnées par des diplômes cotés, d’autre part, la nationalité française et son modèle social unique au monde offrant jusqu’à deux ans (!) d’allocations. Ces privilèges font partie des innombrables choses auxquelles j’ai eu le temps de réfléchir ces dix-huit derniers mois, et qui m’ont le plus souvent remplie d’une infinie gratitude.

Ces dix-huit mois me semblent avoir défilé en un claquement de doigts, tellement pas un jour, un seul, je n’ai le souvenir de m’être ennuyée. Mes journées pourtant se suivaient et se ressemblaient, parfaitement anodines, extraordinaires banales. Et à la fin de chacune d’elles, je repensais à cette phrase de Camus dans L’Etranger (que je n’ai même pas eu le temps de relire une 5ème fois) : « un homme qui n’aurait vécu qu’un seul jour pourrait sans peine vivre cent ans dans une prison ». J’espère ne jamais finir en prison –même si cette probabilité augmente quand je vois certains journaux crier haro sur « l’ultra radicalisme » de « l’écolo-gauchisme »… –mais si cela devait arriver dans notre monde plein de surprises, j’ai au moins la certitude que l’ennui n’entrera point dans ma cellule.

Que s’est-il donc passé depuis juin 2021 ?

La reconversion est plus que jamais d’actualité puisque j’ai désormais officiellement le droit d’acquérir des terres agricoles, en tant qu’heureuse détentrice d’un BTS productions horticoles. Et puisqu’être en cours toute la semaine ne me suffisait pas, j’ai aussi eu la bonne idée de replonger dans ma passion pour l’économie et de passer le CAPES pour enseigner cette matière en lycée agricole (spoiler alert : je l’ai loupé à 1,5 point près). Néanmoins, l’enseignement agricole –et de manière globale toutes les filières alternatives à la voie générale qui était la seule dont j’avais connaissance– fut une vraie découverte pour moi, et cela m’a donné plusieurs idées qui verront peut-être le jour dans le sillage de mon projet…

Après l’obtention du diplôme agricole s’est posée la question de l’installation. J’ai songé à me mettre à la recherche d’une ferme durant ma formation, mais j’avais beau tenter de le visualiser, je ne me voyais pas m’installer tout de suite. Il serait trop long d’en énumérer toutes les raisons, qui vont de la plus classique « je veux prendre le temps de trouver le lieu idéal » à la plus singulière « les usages de la technologie blockchain ne sont pas encore assez démocratisés pour que mon projet puisse s’en servir et en retirer toute sa valeur ajoutée ». Mais la conclusion fut la suivante : j’ai décidé d’attendre. Plusieurs années, peut-être même une décennie. Quand on sait que la moitié des agriculteurs partira à la retraite d’ici 2030, le choix de fermes à reprendre n’en sera que plus pléthorique. Et quand on sait que plus de 75% des sols de la planète sont dégradés, mon choix de l’agroécologie et de l’agroforesterie n’en sera que plus pertinent et nécessaire.

S’est donc posée une autre question : que faire en attendant de m’installer ? Pour trouver la réponse, je suis partie de mes besoins : (i) me constituer un capital suffisant pour acquérir une ferme et plusieurs hectares de terres ; (ii) maximiser le temps libre et minimiser la charge mentale associés au boulot que je reprendrai, pour être en mesure de continuer à me former et faire du sport, afin de préparer l’esprit et le corps aux difficiles conditions de travail des paysans. A ces besoins vient s’ajouter un autre, essentiel et que j’ai pourtant longtemps négligé : choisir un boulot qui ne me donne pas la boule au ventre, que je serai contente de faire pour ce qu’il est, pas pour le salaire ou le prestige qui lui sont associés, ni pour les perspectives d’évolution qui me sont promises, ni pour rendre fier qui que ce soit d’autre que moi-même. Depuis que je me suis mise à la recherche du poste qui remplirait toutes ces conditions, j’ai passé une bonne soixantaine d’entretiens, décliné une bonne dizaine de propositions (et vu ma candidature refusée autant de fois, soyons honnêtes), et ma décision finale, prise la semaine dernière, a surpris tout le monde.

Même si je ne la perçois aucunement ainsi, cette décision fait écho à mon propos au début de ce texte sur le recul, car la majorité des gens à qui j’en ai fait part l’ont perçue comme tel. Là où eux voient un recul, un retour en arrière, j’y vois au contraire une avancée, car retourner sur le terrain, redevenir cheffe de secteur, est le choix que j’ai fait parmi d’autres qui m’étaient proposés, pour certains doublement plus rémunérateurs mais qui, je le sais, ne m’auraient certainement pas rendue doublement plus heureuse. C’est un choix que j’ai fait pour moi et mon projet, après avoir longuement pesé le pour et le contre, celui d’intégrer une entreprise que j’affectionne particulièrement car ses produits ont accompagné mon enfance. C’est aussi parce que le métier de chef·fe de secteur requiert une organisation, une discipline et une résilience qui me seront indispensables dans ma seconde carrière d’entrepreneuse agricole. C’est aussi, enfin, parce que les supermarchés, ces temples de la société consumériste, ont toujours fasciné la frugalo-minimaliste que je suis, qui a toujours adoré déambuler dans leurs rayons sans jamais vraiment comprendre pourquoi. Sans doute parce que ce que les gens mettent dans leur caddie reflètent un peu ce qu’ils sont, d’où ils viennent, comment ils vivent, et que voir les allées du supermarché se dépeupler en fin de mois est le meilleur indicateur que de plus en plus de familles ont du mal à les boucler. La grande distribution est pour moi un moyen de prendre le pouls de notre société, et même si je comprends ses détracteurs (dont je fais aussi partie à certains égards, pour avoir mené des négociations en centrales d’achat qui ne furent pas loin d’être aussi romanesques que les récits qu’en font les médias…), je garde envers elle un attachement presque irrationnel, qui a motivé ma décision d’y revenir.

Si j’ai mis de côté ma pudeur pour écrire ce texte à la première personne, c’est parce que je sais que beaucoup de jeunes (ou moins jeunes) se posent des questions, ne se sentent pas entièrement à leur place dans le boulot qu’ils font aujourd’hui, et ont vu passer les discours des diplômés des grandes écoles qui enjoignaient à « bifurquer« , qui appelaient de leurs voeux un « réveil écologique« , du nom du manifeste que j’avais moi-même signé lorsque j’étais étudiante de ces grandes écoles il y a quelques années.

Tout le monde n’est pas capable de tout plaquer du jour au lendemain. Je fais partie de ces gens qui ont besoin de réfléchir, planifier, pondérer le risque, « déserter » en douceur sans braquer le volant, mais en se dirigeant vers leur destination d’un pas tout aussi décidé.

Reculer, pour mieux avancer. C’est la stratégie que j’ai choisi d’adopter, au lieu de continuer à avancer à marche forcée, au détriment de mon équilibre et de ma santé mentale. Je suis écolo, je suis de gauche (pensée à mes grands-parents qui s’étoufferont en lisant cela), mais certainement pas une « ultra radicaliste » violente –pour l’avoir trop été envers moi-même par le passé. Notre société capitaliste et patriarcale ne changera pas du jour au lendemain, mais je pense que chaque pas qu’on osera faire dans la bonne direction pour nous, vers ce qui nous rend plus heureux·se, authentique et aligné·e, est un pas de plus dans le bon sens, qui permettra in fine à un nouveau paradigme de société d’advenir.

« Interroger l’habituel »

Pour conclure, j’ai employé l’expression « prendre du recul » mais j’aurais également pu utiliser cette formule sublime de G. Pérec : « interroger l’habituel », découverte dans le texte non moins sublime de Xavier Alberti intitulé « La conquête de l’ordinaire« .

« Interroger l’habituel », c’est aussi s’arrêter une minute et se demander pourquoi le monde nous pousse toujours à avancer. Pour quoi et vers quoi courrons-nous ? Cette promotion ou ce niveau de salaire me rendront-ils plus heureux·se ? Que restera-t-il quand, à la retraite, je ne pourrai plus être ni promu ni augmenté ? Vers quoi avancerai-je alors ?

Certains milliardaires auront peut-être déjà colonisé Mars à l’heure où je planterai le premier arbre sur ma ferme, ou les milles prochains autres. A chacun sa destination, et sa trajectoire pour y arriver. Qu’elle soit rectiligne, ou pas. « Je ne crois pas qu’il y ait de bonnes ou de mauvaises situations », comme dirait l’autre.

Crédit : Brock Davis (@brockdavis), "snowman on his smartphone c.2014"​

#2 – L’idéation

Deuxième sous-chapitre intitulé « L’idéation », dans lequel je tente de dépeindre les contours de mon projet, en commençant par les constats et la prise de conscience qui l’ont motivé, puis de quelle manière ce projet adressera ces problématiques (agroécologie, diversification, inclusion), et enfin en mettant en lumière quelques projets existants qui m’ont inspirée.

“Il n’est rien au monde d’aussi puissant qu’une idée dont l’heure est venue.“

Victor Hugo

J’ai mis du temps à pondre cet article pour une raison simple : à peine aurais-je cliqué sur « Publier » qu’il sera déjà devenu obsolète. L’idéation, c’est « le processus créatif de production, développement, et communication de nouvelles idées » (source Wikipédia). Processus qui, chez moi, est absolument sans fin car même dans les rares moments où les idées cessent d’affluer dans mon cerveau, celui-ci les réorganise, les assemble, les confronte et les approfondit en permanence. J’ai commencé à écrire cet article il y a plusieurs mois déjà, mais je me suis rendue à l’évidence qu’il ne sera jamais terminé et que le publier maintenant me permettra d’ancrer à la date d’aujourd’hui les idées qui me traversent l’esprit, et de pouvoir ainsi y revenir dans quelques mois ou quelques années pour constater, avec le recul, à quel point elles ont évolué ou, au contraire, se sont concrétisées telles qu’elles m’étaient venues.

La citation par lequel cet article débute se termine par ces trois mots : « l’heure est venue ». Sans rentrer dans une longue énumération de chiffres tous plus alarmants les uns que les autres, j’aimerais en donner quelques-uns parmi ceux qui m’ont le plus frappée, et m’ont décidée à entreprendre une reconversion vers le milieu agricole et le Vivant au sens large.
Tout d’abord, les chiffres du dernier recensement agricole :

10 000

C’est le nombre de fermes qui ont disparu chaque année en France entre 2010 et 2020. Soit 200 fermes en moins chaque semaine, qui vont agrandir la ferme du voisin ou disparaissent tout simplement faute de repreneurs.

390 000

C’est le nombre d’exploitations agricoles en 2020 en France métropolitaine. On en comptait 2,28 millions en 1955, soit 1,9 millions de fermes disparues.

1,5%

C’est la part de l’emploi total que représentent les agriculteurs dans la population active. Soit environ 400 000 personnes, quand elles étaient encore 1,6 millions en 1982.

Pourtant, la surface agricole utile (SAU) est relativement stable –je dis bien relativement car la France a quand même perdu 12 millions d’hectares de terre agricole en 70 ans… D’après le Ministère de l’Agriculture, il n’y a donc pas lieu de s’inquiéter puisque nos agriculteurs, bien que leur nombre diminue d’année en année, parviennent à cultiver peu ou prou autant de terres et à en extraire des quantités de nourriture suffisantes pour nourrir la Mère patrie et permettre à la France de conserver son rang de grande puissance agricole mondiale.
Soit. Il est vrai qu’avec les progrès de la chimie de synthèse, de la génétique et de la robotique, il sera sans doute possible dans quelques années pour un homme de gérer à lui seul une ferme de 1000 hectares, en arrosant d’engrais ses légumes n’ayant plus le goût de rien mais résistants à tout, en surveillant ses innombrables parcelles avec des drônes, et en envoyant dans les nuages des missiles anti-grêle ou déclencheurs de pluie. Un scénario digne d’un film de science-fiction ? Hélas, cette description de la « ferme du futur » n’est pas si éloignée de ce qu’on peut déjà trouver aujourd’hui, et de ce vers quoi les chiffres cités plus haut nous amènent si rien n’est fait pour inverser la tendance.
C’est en effet la tendance, plus que les chiffres eux-mêmes, qui est effrayante, car celle-ci ne va qu’en s’accélérant. Il reste 400 000 agriculteurs aujourd’hui, mais 58% des chefs d’exploitation ont plus de 50 ans. Un quart dépasse même les 60 ans, et partira donc à la retraite dans les cinq prochaines années. Qui pour les remplacer, quand 20% d’entre eux n’a même pas pu se verser de revenu en 2017 (source : Le Monde) ? Les chiffres qu’on voit dans la presse sur les rémunérations des agriculteurs font débat car les modes de calcul diffèrent, mais ils restent néanmoins représentatifs des problématiques sociales que connait le secteur, dont le taux de décès par suicide (1 par jour) est tristement le symbole.

A mes yeux, la question sociale est intrinsèquement liée à la question écologique, et leur résolution ne peut être appréhendée de façon distincte. Pour l’expliquer simplement : les agriculteurs vivent de leurs terres, et le revenu qu’ils en tirent dépend donc directement de l’état de ces terres et de la santé du sol sur lequel poussent leurs cultures ou bien paissent leurs bêtes. C’est là que nous touchons au coeur du problème : aujourd’hui, 75% des sols de la planète sont dégradés, d’après le dernier Atlas de la désertification publié par la Commission européenne. Les principales causes de cette dégradation sont anthropiques : agriculture intensive, pesticides, érosion, compaction, surpâturage, pollution industrielle aux métaux lourds, déforestation, salinisation, sans parler de la disparition pure et simple des sols due à l’artificialisation et à l’urbanisation. Et quand les sols sont dégradés, ce sont aussi les bactéries et les micro-organismes qu’on y trouve qui sont impactés, avec des conséquences sur l’ensemble de la chaîne alimentaire au bout de laquelle nous nous trouvons, nous Humains, instigateurs inconscients de ce cercle vicieux délétère.

Encore une fois, plus important que le chiffre est la tendance sous-jacente qu’il recouvre, et un indicateur en particulier nous porte à croire que la santé de nos sols va continuer de se dégrader : alors qu’elles s’étendaient en moyenne sur 15 hectares en 1950, les exploitations agricoles ne cessent de s’agrandir et font en moyenne 69 hectares aujourd’hui. Faute de trouver des repreneurs, les agriculteurs cèdent la plupart du temps leurs terres à leurs voisins, ce qu’on appelle « l’agrandissement », ce qui aboutit à des surfaces de plus en plus grandes, avec de moins en moins de personnes pour les cultiver, et donc une nécessité de gagner en productivité en recourant à la mécanisation, aux engrais chimiques, aux produits phytosanitaires, et à des variétés toujours plus standardisées, résistantes et productives –quitte à rogner sur leurs qualités nutritionnelles et organoleptiques.
Mais jeter la pierre aux agriculteurs ne ferait non seulement avancer en rien le débat, mais serait également hypocrite car nous sommes tous responsables à notre échelle de la destruction de notre capital naturel : consommateurs, entreprises, collectivités, nous sommes tous décideurs de ce que nous mettons dans notre assiette, et donc de la façon dont les aliments qui la composent sont produits. Aucun agriculteur ne se lève le matin en se réjouissant de l’érosion de ses sols, de la perte de biodiversité, ou de devoir utiliser des fongicides contre une maladie qui autrement décimerait le fruit de son labeur d’une année. La majorité fait son travail comme on l’enseigne encore aujourd’hui dans les établissements agricoles, et se retrouve pris au piège d’un système productiviste qui leur impose les variétés de graines à semer, un maintien des rendements grâce à toujours plus de chimie, de machines et d’endettement –mais qui les laisse désemparés quand les cours des matières agricoles s’effondrent ou quand les aléas climatiques de plus en plus fréquents et extrêmes détruisent parfois l’intégralité de leurs récoltes.

Le constat sur les conséquences environnementales de notre agriculture, héritée de la « révolution verte » des années 70, est sans appel : il est nécessaire de changer de direction. La bonne nouvelle est que ce changement de direction est déjà initié et que l’agriculture, aujourd’hui l’une des principales causes du réchauffement climatique, pourrait en être demain la solution.

Il ne s’agit pas de revenir en arrière au temps des petites fermes familiales car ce n’est pas avec la charrue et la binette que nous nourrirons une population mondiale qui atteindra 10 milliards d’individus en 2050. Certaines technologies modernes permettent d’améliorer considérablement le confort de travail des agriculteurs, et donc l’attractivité de la filière auprès des jeunes générations. L’idée est donc de prendre le meilleur de notre époque (les avancées de la recherche agronomique, les machines permettant d’automatiser les tâches les plus pénibles, la précision des prédictions météo pour ajuster l’irrigation, etc.) et de s’inspirer de ce qui fonctionnait par le passé, lorsque l’agriculture était avant tout vivrière et dont les produits étaient vendus et consommés localement, avec des circuits plus courts et donc plus de valeur ajoutée retenue par le producteur.

Après ce long mais nécessaire détour de contextualisation, j’arrive donc enfin à « l’idée dont l’heure est venue ». Ou plutôt, les idées, que je vais condenser dans une description de ma ferme idéale qui serait : diversifiée, en agroforesterie et sol vivant, et inclusive.

Pour l’aspect diversification, une image vaut mille mots et le schéma ci-dessous en parlera donc mieux que moi. Contrairement aux fermes géantes spécialisées en monocultures qui appauvrissent les sols et sont plus vulnérables aux ravageurs, une ferme diversifiée est plus résiliente car les risques sont répartis entre les différents ateliers de production (maraîchage, élevage ovin, poules pondeuses…), et permet également de bénéficier des synergies entre ces ateliers (par exemple, les fientes des poules viennent nourrir le sol en azote, et les restants de culture viennent à leur tour nourrir les poules).

Schéma d’une ferme diversifiée en polyculture-élevage (source : Fermes En ViE)

Pour l’aspect agroforesterie et sol vivant, je pourrai m’étendre dessus dans un prochain article mais je me limiterai ici à quelques principes généraux. L’agroforesterie consiste à associer les arbres aux cultures pour les nombreux bénéfices qu’ils apportent : les racines de l’arbre viennent capter l’eau et les nutriments du sol et les font remonter pour les cultures en surface ; les arbres permettent d’abriter les pollinisateurs et les auxiliaires de culture ; certaines espèces de Fabacées, comme l’acacia, permettent de fixer l’azote de l’air dans le sol pour nourrir les plantes… En bref, les haies bocagères qui avaient pour unique « inconvénient » de gêner les tracteurs n’ont en réalité que des avantages, et on va devoir se lever tôt pour replanter les 750 000 km de haies arrachées depuis 1950 suite au remembrement. Concernant le sol vivant, je vous recommande vivement le film « Une Ferme sur Sol Vivant » (47 minutes), tourné à la Ferme de Cagnolle en Dordogne, une ferme qui m’inspire énormément par ses pratiques culturales et agronomiques.

La Ferme de Cagnolle, un exemple inspirant de maraîchage sur sol vivant (MSV)

Enfin, pour l’aspect inclusion, la ferme idéale que j’imagine a également une vocation sociale et solidaire. Autrefois, les fermes étaient intégrées à leur territoire, les moissons étaient une période de fête réunissant tous les habitants du village, et il était alors impensable que l’agriculteur pût se sentir isolé, ou qu’un tiers de la nourriture produite soit gaspillée avant d’atteindre notre assiette (source : FAO). Si l’on observe un désir de retour à la terre, accentué par la pandémie de Covid-19, chez bon nombre de citadins, c’est que l’effet relaxant, apaisant voire cathartique que la nature peut avoir n’est plus à démontrer. Mettre les mains dans la terre est l’une des meilleures manières de se retrouver, et pour les personnes dont des évènements subvenus dans leur vie les ont fait s’égarer, travailler au sein d’une ferme, avec toute l’attention et la minutie que réclament les plantes, peut leur permettre de reprendre pied, de retrouver confiance en elles, et de poser les premiers jalons d’un nouvel avenir plein de promesses.

Pour celles et ceux qui s’attendaient à trouver dans cet article la description exacte de la ferme que j’ambitionne de monter, c’est raté. Il est d’ailleurs possible qu’au final ce ne soit pas une ferme –du moins, pas que. Le but de cet article était de vous laisser entrevoir les constats qui ont contribué à ma prise de conscience et à ma volonté de prendre part à la nécessaire mutation que va connaître le monde agricole dans les prochaines années. Si les contours de ma future ferme, ou « tiers-lieu agri-culturel » comme j’aime plutôt la qualifier, restent encore flous, les fondations idéologiques en sont déjà esquissées et ont pour mots d’ordre « écologie » et « social« . Dans le premier article sur ma reconversion, j’employais le terme de « cultivatrice du Vivant » et cette ligne directrice n’a absolument pas bougé : quelle que soit la forme que prendra mon projet, quelles que soient les rencontres et opportunités qui le forgeront, j’ai envie qu’il soit un moyen pour moi de rendre tout ce que la Vie m’a donné et, à sa modeste échelle, que sur ce lieu on cultive les âmes avec autant de soin qu’on y cultive les plantes.

La route est encore longue, et je tiens à prendre le temps qu’il faut, mais j’ai la chance de pouvoir m’inspirer de nombreux·ses entrepreneur·ses qui se sont lancés avant moi, avec parfois tant d’années d’avance qu’ils ont été vus comme des illuminés, mais dont le courage et la détermination sont aujourd’hui récompensés. Pour conclure cet article et rendre son contenu plus concret à vos yeux, je vous laisse avec des exemples de fermes qui m’inspirent et qui, par leur simple existence, me font envisager l’avenir avec un indéfectible optimisme.

Ces lieux qui m’inspirent

Gonnegirls Farm

Située à Gonneville-en-Auge, près de Caen, cette ferme a été fondée en 2020 par deux amies ayant quitté leur vie de cadres parisiennes pour se lancer dans l’agriculture régénératrice. C’est certainement l’une des fermes dont je vais le plus m’inspirer : maraîchage, verger, poules pondeuses en poulailler mobile, apiculture, vente en circuit court et gîtes à la ferme. Le tout avec un marketing de génie qui leur a permis de faire de leur ferme un lieu vivant, suivi par des milliers de personnes sur les réseaux sociaux.

Village Potager

Hélène et Etienne ont quitté leur vie de cadres et les tours de la Défense pour monter cette ferme près de Fontainebleau, qui se définit comme une entreprise de l’ESS (Economie Sociale et Solidaire). Sur 40 hectares, ils cultivent 160 variétés de légumes, accueillent touristes et entreprises dans leurs 12 chambres et 2 salles de séminaire, et surtout, ils ont réussi à créer, en seulement 2 ans d’existence, 20 emplois créés dont 10 en insertion.

La Ferme des Volonteux

La Ferme des Volonteux c’est une des rares fermes en France avec un statut coopératif de CAE (Coopérative d’Activité et d’Emploi). Entourés des brebis, poules et chevaux, les maraîchers cultivent environ 25 ha de fruits, légumes et céréales (dont du blé ancien transformé par le paysan boulanger sur place) vendus directement à l’épicerie ou en circuit-court. C’est aussi un lieu de partage et d’apprentissage, avec tout au long de l’année des formations, des conférences et autres ciné-débats, ou encore une friperie.

La Ferme de la Faisanderie

La ferme de la Faisanderie a été créée près de Nancy en 2003 à l’initiative de l’Apajh (Association pour adultes et jeunes handicapés). Elle regroupe un ESAT (Établissement et service d’aide par le travail) pour personnes en situation de handicap psychique et un chantier de réinsertion. La ferme de la Faisanderie, par son cadre et ses activités, permet à ses employés de renouer avec un travail structurant et valorisant.

La Ferme de Moyembrie

Fondée en 1990, cette ferme en agriculture biologique accueille des personnes détenues sous le régime du« placement extérieur ». Elle est reconnue structure d’insertion par l’activité économique : un regard neuf est posé sur chacune, pour qu’elle puisse prendre un nouveau départ. Un placement extérieur à la Ferme coûte 3 fois moins cher à l’administration pénitentiaire qu’une place de prison, et 3 mois après leur sortie, 60% des détenus sont en emploi, en formation, dans une communauté Emmaüs ou retraités.

La Ferme Emmaüs Baudonne

La Ferme Emmaüs Baudonne est une association soutenue par Emmaüs France qui accueille des femmes en aménagement de peine, en leur proposant un travail, un logement et un accompagnement socio-professionnel au sein d’une ferme en agriculture biologique. Elle accueille aussi une école primaire éco-citoyenne proposant une éducation bienveillante, émancipatrice et joyeuse par laquelle les enfants apprennent à vivre en harmonie avec eux-mêmes, les autres et la Nature.

Les Jardins de la Voie Romaine

Membre du Réseau Cocagne qui compte plus de 100 jardins ayant pour objectif la lutte contre l’exclusion par l’insertion professionnelle, on y trouve :
– Le jardin maraicher du Beaunois, 5 ha de cultures
– la Roseraie André Eve, patrimoine horticole exceptionnel avec 700 rosiers, une boutique de produits bio et locaux et un café
– le Domaine de Flotin, une maison de la biodiversité
– Le Relais des trois écluses, une ancienne auberge en restauration pour y développer un lieu de vie nourricier à vocation sociale.

La Ferme des Clos

Située en Île-de-France, au sud des Yvelines, cette ferme couvre plus de 100 hectares et compte aujourd’hui 7 associés indépendants dans leurs ateliers.
Sa particularité : l’arbre est inclus partout, d’une manière ou d’une autre. Ainsi la ferme est un écosystème forestier riche en biodiversité, résilient face au changement climatique et régénératif du sol.
Activités : maraîchage , apiculture, houblonnerie, petits fruits, arboriculture, agroforesterie et élevage de poulets de chair.

Le 100e singe

Le 100e Singe est un Tiers-Lieu, mi-ferme mi-bureau, allié à un incubateur agricole qui accueille et expérimente de nouvelles formes de travail. C’est un lieu ouvert (où peuvent se croiser maraîchers et télétravailleurs, citoyens et professionnels), apprenant (par des formations, des ateliers, des échanges de pairs-à-pairs), et connecté à son territoire. Son nom fait référence à la théorie selon laquelle, si un singe adopte un comportement, à partir du 100e singe qui l’adopte, cela deviendra acquis.

La Ferme des Filles

Située en Gascogne sur un terrain d’une dizaine d’hectares, cette ferme est avant tout une histoire familiale puisqu’elle a été créée en 2018 par 4 cousines (2 x 2 soeurs).
En plus du maraîchage, du verger, des petits fruits rouges, des 250 poules pondeuses et des plantes aromatiques et médicinales (PAM), la ferme propose de l’éco-tourisme avec 5 gîtes en location.
Activités : maraîchage, petits fruits, arboriculture, oeufs, plantes aromatiques et médicinales, et gîtes.

Aux raisons de la terre

Située en Indre-et-Loire, près de Tours, cette ferme en permaculture a été créée en 2016. Aujourd’hui c’est : 1 ha de maraichage, 1 verger de 50 arbres et 400 arbustes fruitiers, 1 bassin à poissons et 2 mares qui permettent de cultiver les fraises en aquaponie, et une petite ménagerie (40 poules, 3 moutons, 3 vaches, 1 cheval de trait, 2 cochons, 8 canards).
Prochaines étapes : un jardin-forêt de 300 arbres et arbustes, un laboratoire de cuisine et un séchoir pour transformer leur production (confitures, soupes, infusions…) et développer leur activité de ferme pédagogique (ils accueillent déjà aujourd’hui des autistes 1h par semaine).

Les Serres de Baudreville

Un tiers-lieu agricole dans l’Essonne né de la réhabilitation de 6000m²  d’anciennes serres agricoles en friche.
Activités : aquaponie (maraîchage et aquaculture), apiculture, arboriculture, morilles, micropousses, atelier de réparation, programmation culturelle et artistique.

La Ferme de la Tournerie

11 agriculteur.trice.s associé.e.s en Haute-Vienne, qui se sont organisés pour vivre de leur travail et prendre des vacances. Une commercialisation en circuits courts avec de la vente à la ferme.
Activités : maraîchage, élevage vaches et chèvres, atelier porcs, paysan boulanger, paysan brasseur.

Réflexion #2 – Le point de départ

“To exist is to change, to change is to mature, to mature is to go on creating oneself endlessly.“

Henri Bergson

16 juillet 2021

Schéma d’une ferme en polyculture-élevage. Source : Eloi

La première question que beaucoup m’ont posé lorsque j’ai annoncé ma reconversion dans l’agriculture fut : « Mais d’où ça t’est venu ? ». C’est une excellente question à laquelle je cherche toujours une réponse. Néanmoins une chose est sûre : il ne s’agit ni d’un coup de tête, ni d’un ras-le-bol, ni d’une fuite en avant. Je ne crois pas en un destin écrit à l’avance sur lequel nous n’aurions aucune emprise, mais en fidèle adepte de la pensée de Spinoza (depuis le lycée, l’avant-propos de ce blog en témoigne), je pense qu’il y a des causes qui nous déterminent et que notre liberté individuelle réside dans la connaissance de ces causes. Celles-ci peuvent être d’ordre génétique, familial, historique, culturel… Et le plus tôt nous en prenons conscience, le plus tôt nous pouvons nous en affranchir et nous en servir pour éclairer l’avenir.

Rien ne me prédestinait à devenir agricultrice, je suis l’archétype même de ce qu’on appelle dans le milieu les « HCF » (Hors Cadre Familial) car personne dans ma famille n’évolue de près ou de loin dans ce domaine. Alors, cette reconversion est-elle le fruit du hasard ? Une déviation inopinée dans la trajectoire tracée par le milieu socio-culturel auquel j’appartiens ? Au contraire, je pense qu’elle est le résultat d’une rencontre entre les déterminismes et les circonstances de la vie.

L’autre question à laquelle il m’a toujours été difficile de répondre c’est : « d’où tu viens ? ». Être métisse est à la fois une bénédiction, car cette diversité est une force, mais aussi une source d’éternels questionnements sur ses origines et la manière dont elles influencent notre façon de penser. Surtout quand ces origines sont aussi diverses géographiquement (Vietnam d’un côté, Tchécoslovaquie et Pologne de l’autre) que religieusement (bouddhisme d’un côté, judaïsme de l’autre — bien qu’aucun des deux côtés ne soit très pratiquant). Mes parents sont tous les deux nés en France, mais il suffit de remonter une génération en arrière pour avoir des récits de vies décousues, brinquebalées au fil des guerres, à fuir des persécutions dont on a aujourd’hui du mal à imaginer l’atrocité, et dont certains jeunes n’ont parfois même jamais entendu parler. A l’heure où j’écris ces lignes, j’ai la chance immense d’avoir trois de mes grand-parents en vie. Ces 26 années d’existence et celles qui me seront encore données de les avoir à mes côtés sont les plus précieuses de toute ma vie. Même si je ne passe pas autant de temps avec eux qu’ils et moi-même voudraient, parce que l’écart générationnel rend parfois la communication difficile et certaines choses impossibles à dire, ils sont toujours là et leur présence m’accompagne au quotidien. Si je parle de mes grand-parents dans cet article, ce n’est pas pour m’épancher sur ma vie privée mais parce qu’ils sont en grande partie responsables de mon choix de changer de vie. Ce sont les personnes qu’on admire le plus qui nous poussent à prendre les décisions les plus radicales. Parce que sans leur courage, je n’aurais pas grandi dans un cadre aussi privilégié, et parce qu’elles m’ont tant donné, je ne pouvais concevoir le fait de mener une vie en demi-teinte, calfeutrée dans mon petit confort, sans me sentir pleinement alignée avec les valeurs qui m’animent et qu’ils m’ont léguées.

Quand on est petit.e, on ne se rend pas vraiment compte pourquoi on fait les choses, et à vrai dire on ne se pose pas vraiment la question. On fait ce que les adultes nous demandent de faire, soit pour qu’ils nous laissent tranquilles, soit pour leur faire plaisir. Et, au fond, ce n’est pas un problème car s’ils nous aiment, ils veulent le meilleur pour nous. Il faut simplement un peu de temps pour comprendre que nous pousser est leur manière à eux de nous aimer, et que ramener un bon bulletin de notes n’est pas une condition de leur amour, qui demeure inconditionnel, mais une manière pour nous de nous en sentir dignes, de voir la joie et la fierté sur leur visage quand ils en parlent à leurs amis, et de garder en héritage ces souvenirs précieux quand ils ne seront plus là. Il m’a fallu du temps pour comprendre cela, et il m’en faudra encore plus pour m’en émanciper car un regard rempli d’amour n’en demeure pas moins lourd à porter. J’ai réalisé depuis que les bulletins de notes et les diplômes n’apportaient pas plus de sens à ma vie, mais qu’ils apportaient du bonheur dans la leur, et rien que cela valait aux cases la peine d’être cochées. Alors certes, il y a de la pression familiale, jamais prononcée, toujours insidieuse, certes il y a du conditionnement, mais quand on comprend que ces « accomplissements » font partie de l’héritage qu’ils nous laissent, on comprend alors qu’ils nous ont quelque part rendu heureux indirectement par la fierté qu’ils procuraient. J’ai longtemps considéré avoir coché des cases par contrainte ; je considère aujourd’hui l’avoir fait par amour, sans en avoir conscience. Mes grands-parents ont toujours voulu le meilleur pour moi, il me semblait naturel que je veuille le meilleur pour eux. Ma mère m’a souvent répété : « il n’y a pas d’amour, il n’y a que des preuves d’amour » ; et quand on ne sait pas l’exprimer par des mots ou des gestes, la réussite scolaire est une preuve d’amour comme une autre.

Cependant arrive un moment où les bulletins de notes disparaissent, où les études se terminent, où l’on n’arrive plus à leur expliquer en quoi consiste notre travail car les métiers (comme le reste) sont devenus compliqués et qu’on ne parlait pas à l’époque de « start-up » ou de « KPI ». Alors il faut trouver une autre façon de les rendre fiers, à une différence près par rapport à l’enfant que j’étais : que cela me rende fière aussi.

Me lancer dans l’agriculture aujourd’hui me rend fière car c’est une absolue nécessité. L’alimentation a toujours tenu une place primordiale dans mon existence, avant même que je connaisse son influence sur la santé. « Bien manger, c’est le début du bonheur » : jamais n’aura-t-on vu de slogan publicitaire plus pertinent. A chaque fois que j’allais chez mes grands-parents, je savais que j’allais bien manger. Beaucoup trop, mais bien, car cuisiné avec plus d’amour qu’on n’en trouvera jamais dans aucun restaurant. A tous les établissements étoilés du monde je préfèrerai toujours, sans une once d’hésitation, la table de mes grands-parents. La nourriture est sans doute le plus ancien vecteur de joie et de lien social de l’humanité ; or, notre souveraineté alimentaire est aujourd’hui plus menacée que jamais quand on sait que d’ici dix ans, la moitié des agriculteurs français partiront à la retraite, et qu’au rythme actuel des installations, seulement un sur quatre sera remplacé. Sans compter les ravages de l’agriculture intensive sur nos sols et les conséquences du réchauffement climatique qui ne feront que s’aggraver. Il y a donc urgence, et si je veux que mes enfants connaissent le bonheur que j’ai eu, attablée chez mes grands-parents, encore faudra-t-il des personnes pour remplir la marmite (ce n’est pas une expression mais bien le conditionnement « standard » chez mes grands-parents, qui cuisinent toujours pour 12 quand nous sommes 4).

Dans toute reconversion il y a une rupture, mais j’envisage davantage la mienne comme une continuité. Tout d’abord dans les valeurs qu’on m’a inculquées, en particulier celle du travail, qui me sera bien utile durant la saison des récoltes ; celle de considérer que rien ne nous est dû et que tout ce qu’on possède peut nous être enlevé d’un claquement de doigts ; et enfin celle de toujours faire de son mieux, de se rendre utile, de venir en aide à ceux qui ont moins que nous, et d’avoir confiance que tôt ou tard, sous une forme ou sous une autre, la Vie nous le rendra. Ces valeurs, je les dois à mes parents, qui eux-mêmes les doivent à mes grands-parents. Là est la continuité. Là est ma chance, d’avoir deux grands-mères qui sont les femmes les plus fortes, les plus indépendantes et les plus généreuses que je connaisse. Elles sont les personnes que j’admire le plus au monde, et si j’ai hérité ne serait-ce que d’une minuscule part de leur courage et de leur détermination, je sais que j’arriverais à gravir toutes les montagnes qui se dresseront devant moi. La déviation dans mon parcours n’en est donc pas une, ou alors elle devait nécessairement arriver : comment aurais-je pu suivre un chemin conventionnel après avoir été élevée par des femmes exceptionnelles ? Comment aurais-je pu dépendre d’un employeur et vivre une vie de salariée confortable après avoir été inspirée par des femmes si indépendantes et qui se sont battues avec tant de courage pour regagner ce dont les guerres les ont privées ? L’école est finie pour moi depuis des années et pourtant, je suis toujours cette enfant qui veut ramener de bons bulletins parce qu’elle sait que sa grand-mère va les photocopier, fanfaronner auprès de tous ses amis, et les garder précieusement dans une pochette en carton. Et il en sera probablement toujours ainsi, car rien n’a plus d’importance à mes yeux que de la rendre fière.

La volonté de me lancer dans l’agriculture n’est donc pas née un beau matin, elle a toujours été là, en germe. Elle est le fruit de mes gènes, du sang qui coule dans mes veines, et de ce profond désir d’indépendance que j’ai hérité de mes grands-mères. Ce patrimoine génétique, familial et culturel me détermine, et je suis libre car j’en ai conscience. En allant vers l’agriculture, je ne le rejette pas, au contraire, je choisis de le fructifier. Mes grands-parents ont consacré toute leur vie à offrir le meilleur à leurs enfants, je ne fais donc que suivre leur exemple en choisissant le métier qui me permettra d’offrir un monde meilleur à ceux que j’espère avoir un jour. Je leur dois tout, mais quand bien même existerait-il des mots assez forts pour l’exprimer, je n’aurais sans doute pas le courage de les prononcer. Je sais qu’ils liront ces lignes car j’ai commencé ce blog pour eux, donc la petite-fille choyée, chanceuse et fière que je suis leur dédie cet article.

Je détaillerai plus dans le suivant mon projet, qui reposera sur une ferme à taille humaine, diversifiée, et suivant les principes de l’agroécologie, de la bio et plus encore.

Réflexion #1 – Le grand saut

16 juin 2021

Hier, j’ai quitté mon poste en CDI. Aujourd’hui, je me suis inscrite à Pôle Emploi. En voilà une case qui n’était pas encore cochée ! Depuis les A+ sur mes bulletins d’écolière, le 19/20 au bac, deux grandes écoles et trois CDI : qu’est-ce que j’en aurais coché, des cases. Sans toujours comprendre pourquoi. Parce que c’était la suivante, souvent. Du travail, j’en ai fourni un peu. De la chance, j’en ai eu beaucoup. Celle d’être née « du bon côté de la barrière » et surtout d’en avoir conscience, pour commencer. Celle d’avoir pu étudier pendant cinq ans et surtout de vouloir apprendre encore, ensuite. Celle d’avoir pu voyager sur plusieurs continents et surtout d’être moi-même un noeud inextricable de cultures, enfin.

Banlieue parisienne, Picardie, le Havre, Tokyo, Lille, Paris, Aarhus, Saint-Etienne, Rouen : autant d’endroits où j’ai vécu, pendant un mois ou pendant neuf ans, où j’ai étudié, travaillé, enseigné, escaladé des montagnes, crashé des voitures dans le décor, fait la fête, pleuré, de joie comme de tristesse. Des endroits où je me suis perdue, parfois jusqu’à la limite du point de non-retour, avant qu’une main fortuite ne me soit tendue car la Vie a décidé que ce n’était pas mon heure. Tous ces lieux m’ont vu grandir car j’ai eu la chance d’y rencontrer des personnes extraordinaires, dont le talent ne cessera jamais de m’émerveiller. Certaines sont devenues des ami.e.s, d’autres n’ont fait que croiser ma route et ignorent à quel point elles l’ont influencée. Certaines sont faites de chair et d’os, d’autres ont peuplé les lectures, les images qui ont défilé sous mes yeux depuis toute petite.

A toutes ces personnes, je souhaite simplement dire merci. A celles qui ont été dures avec moi et qui m’ont endurcies. A celles qui ont été bonnes avec moi et qui m’ont ouvert le coeur. Je vous dis merci, car sans vous ce nouveau chapitre que je m’apprête à entamer n’aurait sans doute jamais pu voir le jour. La Vie est décidément facétieuse et pleine de mystères. Il y a trois mois et demi, je rejoignais une entreprise qui ressemblait en tous points à l’entreprise de mes rêves. Hier, je l’ai quittée, en la considérant pourtant toujours comme une entreprise à part, unique par le tissu d’humanité fabuleux qui la compose. Alors pourquoi partir ? Parce qu’arrive un moment où même dans le cadre le plus progressiste, on se sent à l’étroit. J’ai cherché pendant quelques temps un autre cadre, mais tous m’ont paru fades et rétrogrades en comparaison. L’unique solution est donc de créer le sien, et pour cela il me fallait une impulsion. Je ne crois pas en la soudaineté du déclic, je pense au contraire qu’il se produit après une longue accumulation d’expériences, tel un fruit mûr qui tomberait de l’arbre après que la sève ait lentement circulé des racines jusqu’à la tige. Cette métaphore végétale est une parfaite transition car c’est ainsi que se dessine mon avenir : dans le végétal, dans la terre, et dans le vivant.

Qu’on appelle cela paysan, agriculteur ou maraîcher, je préfère pour ma part l’humble appellation de « cultivatrice du vivant ». Un vivant que j’envisage à la fois végétal et animal grâce à l’aquaponie (pour celles et ceux qui ne connaitraient pas, cette vidéo l’explique assez bien). Mais aussi, j’espère, un vivant humain, par la création d’un lieu qui, au-delà de la ferme, rassemblerait plusieurs activités pour nourrir les Hommes de façon plus locale, durable et circulaire ; un lieu qui participerait à la revitalisation de nos campagnes ; un lieu où le profit ne serait pas l’indicateur-roi à l’aune duquel sont sacrifiées nos valeurs de fraternité et d’inclusion ; un lieu qui célèbrerait la diversité et les talents se trouvant en chacun.e de nous. De tels lieux existent déjà en France, peut-être à côté de chez vous, et je suis persuadée qu’ils prolifèreront car le besoin de se reconnecter et de réinjecter du sens dans nos existences n’a jamais été aussi criant.

Juin 2021 marque donc le début de ma reconversion. Plus de cases à cocher, revers de volant, sortie d’autoroute. A partir de maintenant, tout ne sera que découverte et tâtonnements. Stupeur et tremblements, pour faire un clin d’oeil au pays pour lequel j’ai commencé ce blog, en 2016, et où je tenterai de raconter les étapes de ce projet un peu fou qui n’existe encore que dans ma tête. La première étape sera de me former, d’ « apprendre le métier » comme on a coutume de dire. Et pour la suite, on verra bien.

Amor fati.

Nul ne sait quel goût aura l’omelette, l’essentiel est d’être heureux en cassant les oeufs.

 

Photos retrouvées d’Århus

En faisant le tri dans mes brouillons d’articles, je suis tombée sur ces photos prises durant le mois que j’ai passé au Danemark. C’était à l’été 2016. Après une année entière à l’étranger, j’ai eu la chance que mon master en école de commerce me permette d’y retourner dans le cadre d’une summer school de trois semaines, pour suivre des cours plus ou moins en lien avec ceux que je suivais en France. J’avais choisi le Danemark car les pays scandinaves m’ont toujours attirée, pour leur nature sauvage, l’insolente réussite de leur système éducatif qui les place toujours dans le haut du classement PISA quand la France recule d’année en année, et enfin les secrets que renferme leur mode de vie pour qu’ils caracolent d’après tous les sondages en tête des pays les plus heureux du monde.

Le Danemark en particulier est connu pour son fameux « hygge » (prononcez « hugueu »), un terme qu’on pourrait traduire par celui, non moins français, de cocooning. Ce mot date du début du XIXe siècle, lorsque le Danemark et la Norvège ne formaient qu’un seul pays, et dérive d’un terme norvégien qui signifie “bien-être”. Et le concept se décline à toutes les sauces : hyggelig (l’adjectif), hyggekrog (le coin douillet), hyggebukser (le pantalon confortable que l’on ne porte que chez soi)…Il désigne ainsi l’ensemble des petits moments qui procurent bien-être et confiance, et s’est transformé avec le temps en véritable philosophie de vie qui a donné lieu à de nombreux best-sellers en librairies.

Vivre au Danemark pendant plusieurs semaines nous pousse à reconsidérer la place qu’occupe le travail dans nos vies. En effet, le « hygge », cette recette danoise du bonheur, repose sur le temps qu’on accorde aux sentiments de confort, de chaleur, de convivialité en dînant avec des amis, de partage en jouant avec ses enfants, de bien-être en prenant soin de soi. Avec une semaine de travail qui avoisine les 32,5 heures et des journées du bureau qui finissent rarement après 17h, les Danois savent le prendre, ce temps eudémonique. Le débat sur la durée de travail hebdomadaire est pour moi l’arbre qui cache la forêt car en France elle est de 36 heures et nous étions pourtant 31 rangs derrière le Danemark, premier, dans le classement des pays les plus heureux du monde en 2016. La question n’est pas tant de savoir combien d’heures il faudrait travailler pour être heureux (cela dépend du point d »équilibre de chacun), mais plutôt de ce que nous faisons de ces heures où nous ne travaillons pas. A Aarhus, je passais la majeure partie de mes journées à étudier car j’ai eu la chance de tomber sur des cours passionnants sur la linguistique, donnés par un professeur passionné qui arrivait d’Allemagne avec son vélo et avait comme sacro-sainte règle de rouler au moins 1000km chaque été. Quand je n »étais pas à l’université, j’allais par monts et par vaux, découvrir la charmante ville d’Aarhus ou les paysages environnants lors de randonnées plus ou moins planifiées (voir mon article sur le Mols Bjerge National Park).

Même s’il remonte désormais à près d’une demi-décennie (diantre que le temps passe vite), je garde un agréable souvenir de mon séjour au Danemark. J’y ai fait de belles rencontres parmi les étudiants de ma classe, j’ai découvert une langue aux sonorités uniques, j’ai mangé beaucoup de pain de seigle et de saumon fumé, et j’ai surtout pu toucher du doigt cette douceur de vie, ce « hygge » dont on a tous tant besoin. Cette immersion au Danemark, bien que de courte durée, a été une parenthèse bienvenue, un ralentissement salutaire sur ma route que j’ai souvent tendance à vouloir tracer trop vite.

Mols Bjerge National Park

Avant de vous parler plus en détails de la ville d’Århus et des Danois, voici quelques photos de mon expédition du week-end dernier. Je dis « expédition », car ce ne furent finalement pas deux, pas trois, mais bien six heures que je passai dans les prairies et les collines verdoyantes du parc naturel de Mols Bjerge. Tout cela parce que les cartographes danois ont eu la brillante idée de mettre des symboles de bus à plusieurs endroits pour indiquer… les « routes recommandées » pour les bus. Pas les arrêts de bus, les vrais, où des bus s’arrêtent à intervalle régulière, ce serait beaucoup trop logique. Indiquons plutôt les endroits où un bus pourrait s’arrêter, pour que cela ne porte pas du tout à confusion. Habile planificatrice, j’avais donc prévu de marcher depuis Ebeltoft jusqu’à Agri, la plus haute colline du parc culminant à 137 mètres, puis de prendre le bus pour rentrer. Mais puisque celui-ci n’existait que dans la tête d’un cartographe démoniaque, il m’a fallu faire tout le chemin inverse à pied jusqu’à Femmøller Strand, où je pus prendre le bus 123 pour rentrer à Århus après cette revigorante ballade de six heures…

Mis à part ce petit imprévu logistique, ce fut l’une des plus belles journées que j’ai passé au Danemark jusqu’à présent: de 10h45 à 17h, ne m’arrêtant qu’un quart d’heure pour déjeuner, j’ai marché en continu sur le bord de mer, puis à travers les champs, les prairies, les forêts, me demandant quel sorte de paysage m’attendrait derrière la prochaine colline. Pas de sommet vertigineux ni de falaises accidentées, pas le genre de nature grandiose qui nous coupe le souffle, mais plutôt le genre de nature tranquille où l’on reprend le sien. J’ai dû croiser en tout une vingtaine de promeneurs, dont la langue m’était aussi inconnue que celle des nombreuses vaches rencontrées sur ma route. Silence absolu dans lequel résonnaient mes pas, et souffle du vent emportant avec lui beaucoup de choses. Je me demande si les bergers finissent par se lasser de la beauté de leurs pâturages à force de les voir tous les jours, comme on finit par se lasser un jour ou l’autre de son vieux canapé dans le salon. Ou bien au contraire, si on s’en est tellement empreint, tellement nourri, qu’on ne parvient plus au bout d’un moment à s’en séparer.
Comme le soleil n’a pas beaucoup brillé ce jour-là, j’ai pris peu de photos, mais en voici tout de même quelques-unes pour vous convaincre de visiter le parc de Mols Bjerge si vous passez un jour dans la région :-)

Hej Århus !

Il y a un an presque jour pour jour, je partais depuis Tokyo explorer un petit bout d’Australie. Un an après, je repars à la découverte d’un pays totalement inconnu: le Danemark ! Première étape: Århus (qui s’écrit désormais « Aarhus » depuis 2011, mais je garde l’accent bizarre pour faire plus pittoresque). Située sur la péninsule du Jutland, en plein coeur du Danemark, Århus est la deuxième ville du pays derrière Copenhague avec 260,000 habitants, dont une bonne partie sont des étudiants. La ville est donc à peu près ce que Lille est à Paris, avec un centre-ville coquet, des rues pavées, un choix incroyable de bières (øl, prononcez « eul »— facile et pratique quand on n’en est pas à sa première), et une météo, disons, plutôt aléatoire. Depuis mon arrivée, il y a deux semaines, la température n’a jamais dépassé les 25°C et descend même jusqu’à 16 les jours de grosses averses (heureusement, celles-ci sont rares, la pluie qui tombe presque tous les jours est plutôt fine). On est donc bien loin de la canicule mais, passés les premiers jours, on s’habitue à sortir avec un gros pull ou sa veste en plein mois de juillet. Même si elle doit être approximativement à 5°C, il y a la mer à Århus, et c’est l’une des raisons qui m’a poussée à venir ici: la nature. La vraie. Celle que je n’ai pas vu depuis que j’ai aménagé à Paris, il y a six mois. Ici, il y a non seulement la mer, mais aussi des forêts, des lacs, des collines, et un nombre infini de recoins sauvages qu’il faudrait plus d’une vie pour explorer.

IMG_20160713_225514

Avec seulement cinq millions d’habitants dans tout le royaume, soit deux fois moins que dans l’agglomération parisienne, le rythme de vie des Danois n’a rien de comparable avec celui des Franciliens. A la place du métro, un dense réseau de bus et des vélos filant à toute allure sur les pistes cyclables aussi nombreuses que les routes goudronnées. J’aime Paris autant que j’aime Tokyo, ce sont pour l’instant les deux seules villes où je me vois habiter, mais comme avec toutes les choses qu’on aime beaucoup, peut-être un peu trop, on a parfois besoin de s’en détacher pour en retomber amoureuse comme la première fois. Et rien de mieux pour cela que de partir dans un pays dont on ne connaît quasiment rien, à part qu’il fait partie des pays scandinaves où, paraît-il, tout fonctionne bien. Une culture différente et une langue atrocement compliquée dont je n’ai pu retenir que trois mots en deux semaines: tak (merci), hej (bonjour) et øl (bière) —à noter qu’aucun d’entre eux n’a plus de trois lettres, pour vous dire la complexité du patois. En revanche, sa sonorité très originale est un ravissement pour les oreilles: la première fois que j’ai entendu parler danois, j’ai cru avoir découvert d’où venait la langue des Sims. Les mêmes sonorités rondes, « glougloutantes » et « yaourtesques », donnant presque l’impression que les gens font semblant de communiquer ou parlent un dialecte de jeu vidéo. Mais on rigole nettement moins quand on les entend s’exprimer dans un anglais parfait, que maîtrise 85% de la population, et la quasi-totalité des plus jeunes.
Mais je parlerai des langues dans un autre article car c’est en réalité la principale raison de ma venue à Århus: une summer school de trois semaines, sobrement intitulée « Language and Marketing », mais absolument passionnante.
Après le Japon, le Viêt-Nam et l’Australie, j’élargis un peu plus le spectre géographique de mon blog en y rajoutant mes impressions du Danemark, quatrième pays d’une liste qui, je l’espère, continuera de s’allonger chaque année :-)

IMG_20160713_225235

Viêtnam Part IV – Hồ Chí Minh

☆*~゚Saigon en 10 images ~*☆

Mieux vaut tard que jamais dit-on, alors voici avec quelques mois de retard la dernière partie de mon voyage au Viêt-Nam, Saigon. Comme dans toutes les villes visitées au cours de mon périple avec mes grand-parents, je m’y suis sentie incroyablement bien, et en parler aujourd’hui ne me donne que davantage envie d’y retourner.

De mes années à Sciences Po, la troisième aura de loin été la meilleure, mais malgré le peu de recul que j’ai encore, je peux tout de même affirmer qu’elles resteront toutes les trois parmi les parmi les plus belles de ma vie. Au final, je me retrouve dans l’école que j’ai toujours voulu intégrer, mais quand je repense au Havre, à Tokyo, au Viêtnam, à toutes les personnes rencontrées, à tout ce que j’ai découvert et appris, je me dis qu’emprunter la route la plus courte n’est définitivement pas le choix le plus judicieux. J’ai préféré un détour par Sciences Po à une classe prépa qui m’aurait peut-être menée plus haut, mais je me sens aujourd’hui mieux « préparée » que jamais à tout ce que me réserve l’avenir.

Au revoir l’Asie, bonjour la France et le « ch’Nord », tâchons de finir ces études aussi bien qu’elles ont commencé ! (୨୧ ❛ᴗ❛)✧

Hello Australia ! ⌒°(ᴖ◡ᴖ)°⌒

Depuis toute petite, je rêvais d’aller en Australie. Parce qu’il faut une journée d’avion depuis la France pour s’y rendre, je n’aurais jamais pensé le réaliser un jour, et encore moins à seulement 20 ans. J’ai beaucoup hésité entre faire ce voyage ou bien parcourir le Japon, mais je me suis dit qu’après y être restée pendant un an, cela me ferait du bien de partir à la découverte d’un nouveau pays et d’être immergée dans un environnement où j’espérais voir grandir mes envies d’entreprenariat. 
Je n’ai pas pu voyager dans toute l’Asie comme l’ont fait la plupart de mes camarades de promo à cause de mes concours en France, mais les deux voyages que j’ai fait ont dépassé de très loin toutes mes attentes. Le Viêt Nam fut une vraie révélation, ma première rencontre avec l’Asie -dans laquelle le Japon occupe une place à part- mais également une surprise car je n’aurais jamais cru me sentir aussi bien dans un pays dont je n’ai pendant si longtemps rien voulu savoir. Mon voyage en Australie fut aussi une grande surprise, car après en avoir rêvé pendant tant d’années et tout le bien qu’on a pu m’en dire, je n’aurais jamais cru m’y sentir aussi… mal. Il ne s’agit là que d’un ressenti personnel car il serait délirant de juger un pays en n’ayant vu que Sydney et Brisbane, mais même si je n’ai eu qu’un minuscule aperçu de l’Australie, j’en ai vu assez pour la quitter sans aucune envie d’y revenir. Il y a des régions du monde qui ne m’attirent pas particulièrement, des capitales européennes que j’ai aimé visiter sans pour autant tomber sous leur charme, mais jamais auparavant un voyage ne m’avait déçue. Mes très (trop ?) hautes attentes ont sûrement quelque chose à voir là-dedans, mais elles se sont surtout révélées extrêmement différentes de la réalité. Un peu naïvement peut-être, je m’attendais à un « San Francisco australien » où soufflerait dans les rues un vent de liberté nous redonnant confiance en l’avenir, en l’humanité et en nous-mêmes. J’ai parcouru Sydney en long et en large, pris le train, le bus et le ferry, visité pas loin d’une dizaine de quartiers différents, toujours à la recherche de cet esprit décalé et de sources d’inspirations pour entreprendre. Mais que ce soit à l’ombre des immenses buildings du centre-ville, au milieu des superbes maisons d’architecte de Mosman ou bien au coeur du quartier populaire de New Town, je ne me suis jamais sentie vraiment à l’aise. Même si aucune ville n’est comparable avec une autre, je trouvai que Sydney n’avait ni le charme et la beauté de l’Europe, ni l’exotisme et la chaleur de l’Asie. Mais tout en pensant cela, je réalisai une nouvelle fois à quel point Paris et Tokyo sont des villes uniques au monde, d’une beauté inégalée pour la première, et d’une magie indescriptible pour la seconde. Si j’ai eu l’impression d’avoir largement fait le tour de Sydney au bout de dix jours, j’ai quitté Tokyo en songeant déjà à tout ce qui me restait encore à y découvrir, et à tous ses secrets que je ne percerai jamais et qui m’en ont fait tombée un peu plus amoureuse chaque jour. J’ai aussi réalisé à quel point je m’étais sentie bien au Viêt Nam, à Hanoi comme à Saigon, alors que je ne parle pourtant pas la langue. Il m’aura fallut aller jusqu’en Australie pour réaliser ma chance extraordinaire d’être née avec une double culture et des liens avec l’Europe et l’Asie que ce séjour n’aura fait que renforcer. Je suis désormais plus certaine que jamais de vouloir partager ma vie entre ces deux continents, et tout particulièrement entre le Japon, la France et le Viêt Nam. 
Aller en Australie: ✓ / Prochain rêve sur la liste: faire le tour de l’Asie ! (๑◔‿◔๑)